Drame

  1. Dark Waters / Todd Haynes 

  2. Les Filles du Docteur March / Greta Gerwig

  3. Lillian / Andreas Horvath

  4. Un Fils / Mehdi M. Barsaoui

 

dark_waters.jpeg

Dark Waters / Todd Haynes (Drame, Biopic, 2020)

Synopsis : Robert Bilott est un avocat spécialisé dans la défense des industries chimiques. Interpellé par un paysan, voisin de sa grand-mère, il va découvrir que la campagne idyllique de son enfance est empoisonnée par une usine du puissant groupe chimique DuPont, premier employeur de la région. Afin de faire éclater la vérité sur la pollution mortelle due aux rejets toxiques de l'usine, il va risquer sa carrière, sa famille, et même sa propre vie...

Analyse : Le projet est né de l’impulsion de l’acteur principal Mark Ruffalo (Spotlight, Shutter Island) et de la société de production Participant de réaliser un film relatant des faits parus un an après la parution d’un article à charge contre une entreprise polluante. Le réalisateur Todd Haynes (Carol, Le Musée des Merveilles) a porté de l’intérêt à mettre en scène ce scandale environnemental.
Volonté de tourner son film dans un souci de réalisme : tournage en décors naturels en plein hiver et recours à bon nombre de comédiens non professionnels recrutés sur place (exceptés Mark Ruffalo, Tim Robbins et Anne Hathaway).
Dark Waters se teinte d’une palette de couleurs froides afin que le spectateur ressente une sorte de salissure due à la crasse de l’intrigue, de la terre souillée par les produits chimiques. Teinte et lumière grisâtre mêlés à des paysages froids et un climat hivernal participent grandement à cette froideur souhaitée par le cinéaste.
Le film se situe dans la même veine que l’excellent Erin Brokovitch, seule contre tous de Soderbergh (2000). Le personnage de l’avocat interprété par Ruffalo nous fait penser à celui campé par Julia Roberts vingt ans plus tôt : deux personnages acharnés et prêts à sacrifier leurs vies personnelles au nom de la vérité et de leurs valeurs personnelles.
Todd Haynes déclare son amour pour les thrillers politiques des années 70 comme À cause d’un assassinat et Les Hommes du Président (Alan Pakula, 1975 & 7976). Ce genre de films met en place une dialectique de l’homme contre le système.
Le réalisateur avait par ailleurs déjà réalisé un film traitant de l’empoisonnement par la pollution environnementale (Safe, 1995) : prédisposition de Haynes à mettre en scène des films militants dépeignant une guerre pour la protection de l’environnement et de la santé publique contre les intérêts capitalistes des grands groupes.

Le film est centré sur le point de vue de Robert. Autour de lui à la maison, sa famille évolue (à mesure que l’action progresse, les années passent, ses trois fils grandissent, mais il a peu d’interactions avec eux). Filmé souvent à part de sa famille dans le cadre ; ou quand il est avec ses enfants, son regard est ailleurs, concentré sur sa mission.
Une scène assez percutante : celle de la « vache folle » qui menace le protagoniste. Scène très visuelle faisant appel à l’émotion du spectateur pour décrire l’absurdité des faits. Haynes l’a conçue pour faire susciter l’empathie du public et cela fonctionne à l’écran puisque nous sommes les témoins d’une scène de tension.

Dark Waters est un film percutant et habilement mis en scène par Todd Haynes ; en outre, il excelle dans la direction de ses acteurs (Mark Ruffalo, Tim Robbins etc..) et nous fait prendre conscience des désastres des dérives des grands groupes chimiques depuis des décennies. Prouesse dans la mise en scène et dans les choix de sa tonalité et de ses éclairages. Du film se dégage une véritable atmosphère de film d’espionnage qui nous prend aux tripes et ne nous lâche plus jusqu’à la fin ; le metteur en scène parvient habilement à retenir notre attention et à nous faire réagir face aux faits. Un film coup de poing essentiel.

 

5458132899888bd83f80371cc697ae4e.jpg

Les Filles du Docteur March / Greta Gerwig (Drame, 2019)

Synopsis : Quatre sœurs atteignent l'âge adulte en Amérique au sortir de la guerre civile...

Analyse : La jeune cinéaste Greta Gerwig (Lady Bird, 2017) signe une adaptation douce et soignée du monument de la littérature Les Quatre Filles du Docteur March de Louisa May Alcott (titre original Little Women) paru en 1868.
Le roman a déjà été adapté à de nombreuses reprises au cinéma : en 1933 par George Cukor, en 1949 par Mervyn Le Roy (avec Liz Taylor, film qui remporta l’Oscar des meilleurs décors) et plus proches de nous, en 1994 par l’australienne Gillian Armstrong (casting réunissant Susan Sarandon, Winona Ryder, Claire Danes ou encore une toute jeune Kirsten Dunst). La relecture du film à notre époque peut être vu comme un écho aux divers mouvements féministes qui émergent depuis quelques années un peu partout dans le monde ; cependant, certains de ces mouvements contemporains se dévoilant finalement agressifs et très éloignés des revendications des premiers mouvements féministes des années 70, on appréciera la douceur s’émanant de l’œuvre de Gerwig, plutôt romantique et fidèle au roman écrit au 19ème siècle, et qui sait exploiter de manière juste l’émancipation féminine de jeunes femmes américaines juste après la Guerre de Sécession.
Le film de 2019 réunit un casting de jeunes actrices ayant déjà fait leurs preuves devant la caméra : Emma Watson révélée dans la saga Harry Potter, Florence Pugh, magistrale et énigmatique dans The Young Lady), ou encore Saoirse Ronan (révélée dans le superbe Lovely Bones de Peter Jackson en 2010, et interprète principale de Lady Bird). Le français Timothée Chalamet campe l’unique personnage masculin du film, jeune homme au centre des convoitises sentimentales des jeunes sœurs March. Le comédien endosse le rôle d’un jeune romantique dont le cœur balance…objet de convoitise donc, rôle inversé habituellement desservi aux femmes.

La mise en scène soignée ainsi que les jeux d’éclairages stylisés séduiront les amateurs du roman ainsi que les amoureux du film d’époque. Le film séduit en effet par la beauté de ses costumes et de ses décors conçus avec une grande rigueur par les équipes du film. Certaines scènes nous font penser à un conte de fée : les sœurs March revêtues de leurs belles robes lors du bal, sous les lumières de la salle et sous l’œil de jeunes hommes prêts à les séduire ; la blancheur hivernale des paysages, etc. Mais le film a aussi conscience de la réalité d’une époque rude et pas facile, celle des pionniers américains, en quelque sorte, subissant la pauvreté qui s’abat sur nombre de familles. Les quatre sœurs et leurs personnalités et parcours de vie différente sauront symboliser la force d’une famille et plus largement, la force d’un groupe de jeunes femmes s’entraidant dans une époque largement dominée par l’autorité masculine (mais dont l’absence du père les pousse de ce fait à assumer leur destin).

 

lillian.jpeg

Lillian / Andreas Horvath (Drame, Aventure, 2019)

Synopsis : Lillian, échouée à New York, décide de rentrer à pied dans sa Russie natale. Seule et déterminée, elle entame un long voyage à travers l'Amérique profonde pour tenter d'atteindre l'Alaska et traverser le détroit de Béring...

Analyse : Le film s’inspire de la véritable histoire de Lillian Alling, jeune femme russe vivant à New York qui décida en 1927 de rentrer à pied en Russie en passant par le détroit de Béring. Considérée comme disparue encore aujourd’hui, le réalisateur et photographe autrichien Andreas Horvath, ému par cette histoire, fait le choix de transposer son parcours à notre époque. Ce film indépendant est un voyage initiatique et onirique à travers une Amérique profonde encore trop peu représentée avec autant de justesse et véracité dans le cinéma de fiction contemporain.
La caméra ne quitte jamais son protagoniste solitaire à travers son long périple depuis New York et le spectateur est ainsi invité à parcourir l’Amérique sauvage aux côtés de la jeune femme. Très beau film sur la solitude et l’acharnement d’un personnage à atteindre son objectif de retour au pays sans passer par voie aérienne ou navale, ce road-movie propose en outre des images poétiques dont la beauté des paysages parcourus par le personnage est à couper le souffle. L’une des caractéristiques essentielles de Lillian est qu’elle est un personnage muet ; aussi, nous ne l’entendrons jamais prononcer un seul mot durant son long périple, ce qui en fait un personnage plutôt marginal dans le cinéma contemporain. Jamais un film n’aura, ces dernières années, dépeint aussi justement la notion de solitude. En chemin, la jeune femme est amenée à faire plusieurs rencontres fortuites, certaines bienveillantes (le shérif), d’autres plus inquiétantes (voir cette scène magistralement orchestrée dans un paysage de champs de maïs, grand moment de tension et de suspense réussi) mais jamais elle ne se liera avec quiconque pendant son voyage. Le spectateur n’en apprend pas non plus sur son passé, tout juste l’ouverture du film avec son face à face avec un producteur de films pornographiques nous donne un indice de ses motivations à vouloir quitter les États-Unis pour retourner en Russie. Le propos du film n’est pas tant dans l’explication des motivations et dans la vie passée du protagoniste, il se trouve bien au-delà, dans une volonté de retranscrire un voyage initiatique où le contemplatif prime.

Les personnages du film sont interprétés essentiellement par des comédiens non professionnels jouant leur propre rôle (les vendeuses de magasins, le shérif, excepté le conducteur du pick-up interprété par Chris Shaw, le producteur du film). Ainsi, la fiction rejoint le documentaire à travers une histoire portée par le talent d’interprétation de son actrice principale, l’autrichienne Patrycja Planik.
Une histoire envoûtante qui peut nous faire penser au Into the Wild de Sean Penn (2007), les deux films entretenant comme points communs deux protagonistes ayant véritablement existé, motivés l’un comme l’autre par leur désir de voyager seuls à travers l’Amérique sauvage, et de rejoindre les régions du Nord. Cependant, les différences entres les personnages sont leur rapport au monde et aux autres ; autant le personnage d’Into the Wild se lie facilement avec les personnages qu’il rencontre durant son périple, nouant de véritables amitiés, autant la protagoniste de Lillian ne s’ouvre à personne, sa seule motivation résidant dans sa volonté de rentrer seule en Russie. Le traitement de ton des deux films est également très différent, Andreas Horvath s’inscrivant dans une esthétique et mise en scène plus contemplative et plus « indépendante » que l’œuvre de Sean Penn.

Lillian est une petite pépite du cinéma indépendant européen qui mérite d’être visionné si l’on souhaite être happé au cœur d’un long voyage en solitaire dans une Amérique que l’on connaît finalement mal, bien loin de l’« American Dream » et de ses mégalopoles peuplés très souvent représentées dans le cinéma américain.
Un road-movie poétique et onirique qui met en avant la détermination d’une jeune femme seule au sein d’une société à double visage (tour à tour bienveillante et inquiétante) et qui accorde de longs moments contemplatifs face à la beauté des paysages. Un coup de cœur cinématographique de cette fin d’année 2020.

 

un_fils.jpg

 Un Fils  / Mehdi M. Barsaoui (Drame, 2020)

Synopsis : Farès et Meriem forment avec Aziz, leur fils de neuf ans, une famille tunisienne moderne issue d'un milieu privilégié. Lors d'une virée dans le sud de la Tunisie, leur voiture est prise pour cible par un groupe terroriste et le jeune garçon est grièvement blessé...

Analyse : Le film repose sur la puissance émotionnelle de la relation d’un père (interprété par Sami Bouajila) pour son jeune fils Aziz (Youssef Khemiri). Le film débute d’ailleurs par cette complicité qui sera d’ailleurs tout le moteur du film. Najla Ben Abdallah interprète la mère et épouse, actrice de la série tunisienne « Maktoub ».
Le réalisateur et scénariste tunisien Mehdi M Barsaoui (dont il s’agit ici du premier film, sélectionné au 76 ème Festival international de Venise où le comédien Sami Bouajila remporta le prix du meilleur acteur) tisse son intrigue en 2011, année charnière en Tunisie tant sur le plan politique que social après la révolution du printemps arabe.
Avec humilité, le jeune cinéaste déclare qu’il ne souhaitait pas évoquer la révolution dans son film car il n’en avait ni les moyens financiers ni les moyens techniques. Ce qui l’intéressait avant tout c’était de traiter des répercussions que la vie politique pouvait avoir sur une famille tunisienne d’allure classique, et de questionner son impact sur les liens familiaux (lien père-fils mais aussi marital).  Un fils questionne ainsi l’intimité des liens familiaux sous couvert d’un sous-texte politique fort.  

La mise en scène de Barsaoui est de facture classique et très sobre, son but étant de chercher à refléter la réalité sans avoir recours à des artifices. Exit donc les plans aériens tournés avec des grues et autres mouvements de balayage de caméra compliqués : il opte plutôt pour le procédé de la caméra à l’épaule afin d’être au plus près de ses personnages (le lieu restreint de l’action s’y joue) et de focaliser au maximum l’attention du spectateur sur les émotions des personnages principaux.
La prouesse d’écriture d’un scénario d’une intensité folle où nous sommes invités à suivre les rebondissements avec un style trouvant habilement son équilibre entre ellipses et ruptures de rythmes bienvenues, évitant alors à l’intrigue de sombrer dans un pathos de facilité et qui font d’Un Fils un film avec une personnalité qui lui est propre à la croisée du film d’action, du thriller et du drame. En outre, il ose aborder certains sujets sensibles au sein de la société arabe comme la question de l’infidélité féminine ou même du don d’organe.

On constate un grand savoir-faire du cinéaste en ce qui concerne les unités de lieu, de temps et d’action. Le désert s’étendant à perte de vue autour d’eux renforce un sentiment d’âpreté et de désolation qui sert à l’intrigue et les scènes de l’attaque terroriste sont d’un réalisme à couper le souffle.