Drame

Une sélection de films dramatiques marqués chacun par leur sensibilité, leurs qualités narratives et la justesse d'interprétation de leurs acteurs et actrices principaux...

 

  1. Benni / Nora Fingscheidt 
  2. Ema / Pablo Larrain
  3. Ondine / Christian Petzold
  4. Police / Anne Fontaine

 

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Benni / Nora Fingscheidt (2019)

Synopsis

Benni a neuf ans. Négligée par sa mère, elle est enfermée depuis sa petite enfance dans une violence qu'elle n'arrive plus à contenir. Prise en charge par les services sociaux, elle n'aspire pourtant qu'à être protégée et retrouver l'amour maternel qui lui manque tant. De foyer en foyer, son assistante sociale et Micha, un éducateur, tenteront tout pour calmer ses blessures et l'aider à trouver une place dans le monde.

Analyse :

Nora Fingscheidt est une jeune réalisatrice allemande de trente-sept ans qui signe ici son premier long-métrage de fiction. Provenant du cinéma documentaire, les grandes lignes du scénario de Benni lui viennent pendant qu’elle tourne un film documentaire dans un centre d’hébergement pour femme. L’idée de suivre un personnage féminin atteint de troubles comportementaux lui tenait à cœur, et d’autant un plus un personnage d’enfant, ce qui est peu représenté dans le cinéma contemporain allemand. Le film aura nécessité quatre années d’écriture et de recherches pendant lesquelles Nora Fingscheidt et son monteur ont visionné pas loin d’une centaine de films sur l’enfance, des 400 Coups de François Truffaut en passant par Rosetta des frères Dardenne. La jeune actrice Helena Zengel qui incarne Benni, onze ans au moment du tournage, a été choisie par la cinéaste au milieu d’une bonne centaine de candidates pour son expressivité et sa fragilité qui écumait derrière un tempérament de feu, idéal pour le rôle.

L’intrigue suit la petite fille sur plusieurs semaines dans son quotidien difficile alternant les visites aux services sociaux, les hospitalisations ou encore ses moments de vie - souvent très brefs -  au sein de la cellule familiale d’où germe un certain rejet de la part de son beau-père et de sa propre mère, carrément dépassée par les événement. L’intrigue déroule surtout le fil d’une relation complice qui va progressivement se nouer avec Micha, le jeune éducateur dont la volonté de prendre en charge une enfant aussi difficile semble provenir d’un passé qu’il tente de réparer…
La mise en scène de la réalisatrice se pare d’un réalisme qui fait clairement écho aux codes du cinéma documentaire dont elle est issue : la caméra toujours au plus près des deux personnages Benni et Micha, des dialogues s’appuyant sur le fruit de véritables recherches au sein des institutions spécialisées dans l’enfance et des services sociaux, l’utilisation de véritables décors et d’un sens du détail tel qu’ils servent à crédibiliser l’intrigue du début jusqu’à la fin. Le film se teinte d’une colorimétrie souvent grise lors des scènes se situant dans la cité où vit la famille de Benni, dont l’appartement situé au dernier étage d’une tour HLM semble parfois hors d’atteinte pour la petite fille, telle une tour devenant peu à peu inaccessible...Même l’interprétation de la jeune Helena Zengel fait montre d’un réalisme stupéfiant lorsqu’elle répond à ses interlocuteurs ou se livre à des crises totalement bluffantes pour le spectateur qui y assiste, impuissant et désarmé. Ces scènes de crise qui laissent éclater le mal-être de l’enfant nous étreignent d’émotion en évitant de sombrer toutefois dans la surenchère émotive qui aurait alourdie le film.

Benni est un récit poignant sur l'apprentissage de la vie avec cette particularité de mettre en scène une petite fille différente, encore peu représentative dans le cinéma contemporain allemand. Une histoire qui nous captive portée par une jeune actrice allemande au talent prometteur.

 

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Ema / Pablo Larrain (2019)

Synopsis

Ema, jeune danseuse mariée à un chorégraphe de renom, est hantée par les conséquences d'une adoption qui a mal tourné. Elle décide de transformer sa vie.

Analyse :

Le cinéaste chilien Pablo Larrain a réalisé le biopic Jackie avec Natalie Portman dans le rôle principal de l’épouse du président Kennedy ; ici, il prend comme thématique une adoption qui tourne mal et met en scène un personnage féminin aspirant à une furieuse émancipation, mais commettant des choix qui nous laissent perplexes.

Selon le réalisateur, Ema serait une allégorie du soleil : éprise d’une force de vie, elle rayonne et tous les personnages gravitent autour d’elle. Personnage de jeune femme moderne danseuse de reggaeton, mariée à un chorégraphe (Gael Garcia Bernal), une femme en prise avec son époque. En outre, elle est dépeinte comme une femme assumant une sexualité libre, non binaire (bisexuelle).
L’une des caractéristiques du protagoniste est qu’elle fait irruption dans la vie de plusieurs personnages et agit sur leur destin. Mais Ema est aussi et surtout un personnage d’une grande complexité (sa relation ambiguë avec son fils adoptif, son mari, ses amantes etc), et peut dérouter le spectateur par ses choix et ses actes.

Ema est un film dont les qualités sont essentiellement esthétiques : belle photographie, jeux de lumière soignés, scènes de chorégraphie de belles factures et mouvements de caméra dynamiques. Un drame à la croisée du thriller qui séduira également les adeptes de danse moderne.

 

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Ondine / Christian Petzold (2020)

Synopsis

Ondine, diplômée en histoire, travaille comme guide à Berlin. Son amant la quitte pour une autre femme. Immédiatement après la rupture, elle rencontre Christoph dont elle tombe amoureuse. Tous les deux passent des moments merveilleux ensemble jusqu'à ce que Christoph se rende compte qu’Ondine fuit quelque chose. Il commence alors à se sentir trahi...

Analyse :

Le cinéaste allemand Christian Petzold a réalisé plusieurs films dont Barbara en 2012 (un drame ancré dans l’Allemagne scindée en deux des années 1980) et Transit (2018) qui réunissait déjà à l’écran le couple vedette d’Ondine, Paula Beer et Franz Rogowski. Son dernier, Ondine, remporta l’Ours d’Argent de la meilleure actrice pour Paula Beer à la Berlinale 2020. 
Ondine est un mythe germano-nordique qui a inspiré la célèbre pièce de Jean Giraudoux en 1939. Dans la légende, Ondine est la fille du roi des Ondins, peuple des lacs et des rivières. La princesse rejoint le monde des hommes et tombe amoureuse d’un chevalier qui va l’abandonner. Elle feint une passion pour un autre afin de le reconquérir, mais il persiste dans son choix. Une décision qui entraîne sa mort décrétée par le roi. Le cinéaste retranscrit le mythe dans le Berlin d’aujourd’hui en optant pour une esthétique proche du fantastique merveilleux dans la lignée de La Forme de l’eau de Guillermo del Toro.

Ondine est conférencière à l’Institut d’urbanisme de Berlin, où elle raconte l’histoire des transformations de la ville à ses auditeurs. Dès l’ouverture du film, Christophe, son amant, lui annonce à la terrasse d’un café qu’il souhaite mettre un terme à leur relation car il en aime une autre. Ondine le prévient : elle le tuera pour sa trahison s’il persiste dans son choix…Elle fait alors la rencontre de Johannes, un jeune homme venu écouter sa conférence et avec lequel elle va vivre une passion amoureuse. Mais un jour, Ondine croise son ex-amant dans la rue main dans la main avec sa nouvelle fiancée…ce qui va rappeler à Ondine sa promesse de mort.

L’eau est un élément essentiel du film, sublimée par la mise en scène du réalisateur ; elle est omniprésente dans l’intrigue. Lors de leur rencontre dans un bar, Ondine et Johannes se rapproche suite à l’explosion d’un aquarium dont l’eau se déverse sur eux, plaqués au sol. La scène, poétique, transfigure le déferlement de la passion qui s’empare des deux futurs amoureux. L’eau est aussi le milieu dans lequel évolue Johannes professionnellement puisqu’il est soudeur scaphandrier dans un lac.
Les prises de vue subaquatiques dans les eaux du lac sont d’une beauté à couper le souffle comme cette longue scène où le couple Ondine/Johannes fait de la plongée dans un monde empli de sérénité. Une certaine magie se dégage des photogrammes et le cinéaste nous fait en quelque sorte basculer dans un autre monde, celui du mythe et des légendes germaniques. Cependant, ce lac n’est en rien un lac enchanté situé dans une forêt majestueuse ; il est un simple lac de barrage situé dans une région où le cinéaste a grandi. Christian Petzold instaure alors une séquence qui puise son esthétique aussi bien dans le romantisme que dans la modernité industrielle.

Le tournage de ces scènes aquatiques a impliqué pour le studio le recours à un immense bassin où l’équipe du film a préalablement construit tout un monde composé de porches, de plantes, ou même d’un mur de barrage en pierres. Le réalisateur tenait à ce que ce monde existe réellement à l’écran plutôt que d’avoir recours à des effets spéciaux numériques. Seul le silure est un poisson reconstitué en images numériques, mais son aspect est d’un réalisme saisissant à l’écran.
Le réalisateur cite Jules Verne comme l’une de ses références principales (pour ce qui concerne entre autre le design du scaphandre) ainsi que l'une de ses adaptations cinéma, 20 000 lieues sous les mers (Richard Fleischer, 1954). 
L’architecture de Berlin est aussi au centre du film, matérialisée en miniature à travers les maquettes dont se sert Ondine à son travail. C’est d’ailleurs à travers le dédale des rues berlinoises que la jeune femme aperçoit son ex en compagnie de sa fiancée. Une scène importante dans le film qui voit se matérialiser le désir de vengeance d’Ondine.

Christian Petzold retrouve ses deux jeunes comédiens Paula Beer et Franz Rogowski après Transit en 2018. Le cinéaste parle d’une relation de confiance qui s’est rapidement instaurée entres eux. Le réalisateur considère que Paula Beer est l’une des très rares actrices qui soit à la fois très jeune et capable d’exprimer des émotions que la plupart des actrices ne parviennent à faire qu’avec de l’expérience. Sa jeunesse et sa pulsion de vie sont indissociables du personnage d’Ondine. Quant au comédien Franz Rogowski, il possède selon le cinéaste un regard affûté et un sens de la performance physique qui colle parfaitement avec le personnage.

Ondine est une romance actuelle teintée de romantisme et de merveilleux dont la beauté envoûtante des photogrammes nous attire jusqu’au générique final. Très belle prestation d’actrice de Paula Beer (qui tenait la vedette dans le Frantz de François Ozon en 2016), l’une des meilleures de sa génération qui trouve en Franz Rogowski un partenaire idéal. Un très beau duo de cinéma.

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Police / Anne Fontaine (2020)

Synopsis

Virginie, Erik et Aristide, trois flics parisiens, se voient obligés d'accepter une mission inhabituelle : reconduire un étranger à la frontière. Sur le chemin de l'aéroport, Virginie comprend que leur prisonnier risque la mort s'il rentre dans son pays. Face à cet insoutenable cas de conscience, elle cherche à convaincre ses collègues de le laisser s'échapper ?

Analyse :

Anne Fontaine adapte le roman Police écrit par Hugo Boris, paru en 2016. La réalisatrice déclare son envie de suivre le cheminement intérieur des trois policiers et de partager leurs questionnements. Le film interroge sur la notion de désobéissance et de conscience personnelle.

Anne Fontaine fait plusieurs rencontres avec des policiers lui permettant de crédibiliser l’écriture de ses personnages et rendre compte à l’écran de la véracité de cette profession. Sa rencontre avec un réfugié à Vincennes lui a permis d’esquisser la personnalité de Tohirov, le réfugié que les policiers sont chargés de conduire à l’aéroport et interprété par l’acteur iranien Peyman Maadi (Une Séparation d’Asghar Farhadi (2011), la série Westworld). Anne Fontaine a jeté son dévolu sur le comédien après l’avoir découvert à travers plusieurs films, séduite par son côté ordinaire et l’intensité de son jeu d’acteur. Un regard expressif, une gestuelle naturelle, des moments de silence qui en disent long, Peyman Maadi insuffle une certaine véracité à son personnage de réfugié.  

Police est un voyage nocturne à travers Paris, se déroulant aussi bien à l’intérieur d’une voiture que dans des espaces clos (l’intérieur des domiciles privés, le commissariat, etc). La réalisatrice use dans sa narration d’une continuité de flash-backs qui nous offrent des éléments sur l’intimité des protagonistes. Ainsi, on comprend progressivement ce qui lie Virginie et Aristide (Virginie Efira et Omar Sy), le duo au centre de l’intrigue, ainsi que la psychologie des trois protagonistes.
Virginie, jeune femme mariée et mère d’un bébé nous apparait comme une femme déprimée, peu épanouie dans sa vie privée. Erik, grande gueule et plus à cheval sur l’autorité, connait lui aussi une vie de couple peu épanouissante ; quant à Aristide, c’est un jeune homme plus jovial qui a par ailleurs séduit Virginie. Ce trio composé de personnalités diverses va être confronté à faire un choix selon leur conscience, au risque de bouleverser leur équilibre.

Pour déterminer le style visuel de Police, Anne Fontaine et le directeur de la photographie Yves Angelo (avec qui elle avait déjà collaboré sur Blanche comme neige et Marvin ou la belle éducation) ont revu de nombreux films sur la prison, pour leurs décors épurés, mais aussi des films d' Ingmar Bergman (L'Eternel Mirage, Persona et Sonate d’automne), ou encore le cinéma de John Ford et Claude Sautet.