Epouvante, Horreur

  1. Invisible Man / Leigh Whannell
  2. The Lighthouse / Robert Eggers
  3. Vivarium / Lorcan Finnegan

 

invisible_man_0.jpg

Invisible Man / Leigh Whannell (Horreur, Epouvante, Thriller, 2020)

Synopsis : Cecilia Kass est en couple avec un brillant et riche scientifique. Ne supportant plus son comportement violent et tyrannique, elle prend la fuite une nuit et se réfugie auprès de sa sœur, leur ami d'enfance et sa fille adolescente. Mais quand l'homme se suicide en laissant à Cecilia une part importante de son immense fortune, celle-ci commence à se demander s'il est réellement mort…

Analyse : Le scénariste et réalisateur australien Leigh Whannell se fait connaître dans le milieu de l’épouvante en 2004 en écrivant le scénario de Saw réalisé par son ami le talentueux James Wan et dont il interprétait l’un des personnages. Il réalise entre autres le film de science-fiction et d’action Upgrade en 2018. Avec Invisible Man, il définit avec brio une nouvelle incarnation du personnage mythique de l’homme invisible né dans les studios Universal en 1933, un « monstre » intemporel qui, à l’instar du monstre de Frankenstein, cristallise les peurs et angoisses d’une époque. En 2019, l’homme invisible cristallise des peurs contemporaines, notamment celles liées à la violence des hommes à l’encontre des femmes, le protagoniste étant une jeune femme magistralement campée par Elisabeth Moss (La Servante écarlate), angoissée à l’idée du pouvoir d’invisibilité de son ex compagnon violent.

Tandis que le personnage créé par H.G. Wells était un scientifique qui basculait vers la folie, Leigh Whannell s’intéresse davantage au point de vue de sa victime, Cecilia. Ce choix scénaristique pertinent implique un processus d’identification du spectateur envers le personnage central et renforce de ce fait le sentiment d’angoisse et de malaise inhérent au film. Ce qui caractérise son personnage, c’est sa force : la jeune femme met toute son énergie à déjouer les plans machiavéliques de l’homme invisible. Un rôle digne héritier des personnages de femmes fortes nées dans le cinéma de genre américain des années 70 et 80 (on pense à des cinéastes dignes de ce nom comme Ridley Scott et James Cameron).
Leigh Whannell savait dès l’écriture du projet qu’il lui faudrait tout le talent d’une actrice exceptionnelle pour incarner Cecilia : son choix se porte donc sur Elisabeth Moss, deux fois lauréate du Golden Globe et qui marqua le petit écran avec ses rôles dans La Servante écarlate et Mad Men. Pari réussi, l’une des grandes réussites du film devant beaucoup à la qualité de son jeu d’actrice. Elisabeth Moss déclare qu’il s’agit du rôle le plus éprouvant de sa carrière, l’actrice ayant subi un entrainement intensif (comme la résistance au froid) pour incarner son personnage. Une mise en condition éprouvante dont le résultat porte ses fruits à l’écran.

Les effets visuels du film se veulent être réalistes tout comme les éléments du décor et surtout la lumière qui a été voulue la plus naturelle possible. Ainsi, en jouant avec des sources lumineuses naturelles, le film est baigné d’un éclairage réaliste à même de faire ressentir au spectateur l’idée d’une présence invisible tapie dans le cadre. La mise en scène accorde en ce sens une grande importance aux espaces vides explorés par la caméra renforçant la perte de contrôle de Cecilia sur le monde concret à mesure que son angoisse couplée à une forme de paranoïa prend de plus en plus d’ampleur et qu’elle se sente incomprise par son entourage.
Le chef opérateur et le réalisateur ont tenu à tourner en grande partie de nuit : dès la séquence d’ouverture, nous assistons à un grand moment de tension et d’épouvante annonçant la tonalité du film ainsi que dans les scènes du grenier et de l’hôpital psychiatrique.

Invisible Man fait partie des très bonnes surprises cinématographiques de 2020, il redéfinit de manière intelligente un mythe du cinéma fantastique en ancrant sa thématique au cœur des problématiques contemporaines. Lorgnant aussi bien dans le registre de l’épouvante que du thriller psychologique, le cinéaste Leigh Whannell prouve qu’il existe encore de vrais films d’épouvante qui ont leur mot à dire sur la société actuelle en évitant tout cliché. Elisabeth Moss est épatante dans son rôle de femme forte, après sa prestation dans la série télévisée La Servante écarlate, elle prouve encore une fois toute l’étendue de son talent d’actrice.

 

the_lighthouse.jpeg

The Lighthouse / Robert Eggers (Horreur, Epouvante, 2019)

Synopsis : L'histoire hypnotique et hallucinatoire de deux gardiens de phare sur une île mystérieuse et reculée de Nouvelle-Angleterre dans les années 1890.

Analyse : Deuxième long-métrage de Robert Eggers (The Witch, 2015) qui met en scène un huis clos tourné dans un noir et blanc sublime digne du cinéma muet et des films fantastiques du studio Universal des années 1930. Le choix est pertinent de situer la totalité de l’intrigue à l’intérieur d’un phare, ce lieu clos pouvant s’avérer très rapidement anxiogène.

Robert Eggers a de nouveau eu recours au directeur de la photographie Jarin Blaschke, avec lequel il avait déjà travaillé sur The Witch. Ce dernier a choisi une pellicule Double X ainsi qu'un format en 1.19/1 presque carré semblable à celui utilisé dans les premiers films parlants notamment par Fritz Lang et G.W. Pabst. Il s'agissait de mettre en valeur le visage des acteurs et de donner l'impression d'espaces confinés.
Willem Dafoe et Robert Pattinson campent les deux gardiens de phare qui vont devoir cohabiter ensemble malgré leurs antipathies mutuelles au début de l’intrigue. Robert Eggers s’est inspiré d’un fait divers ayant eu lieu au début du 19ème siècle, lorsque deux gardiens de phare se sont retrouvés coincés suite à une tempête, l’un des deux hommes sombrant progressivement dans la folie…
Le jeune réalisateur voulait dès le travail préparatoire confier les deux rôles centraux à Robert Pattinson et Willem Dafoe. Les comédiens se sont plongés dans la documentation réunie par le réalisateur sur la vie des marins et des bûcherons à la fin du 19ème siècle, ont appris le dialecte de leurs personnages et se sont laissé pousser une barbe épaisse.

Tous les décors du film ont été construits de A à Z par le chef décorateur Craig Lathrop et son équipe. Un phare grandeur nature a été bâti en plein hiver sur un affleurement de roche volcanique unique au Cap Fourchu, dans la province canadienne de Nouvelle-Écosse. Il s'agit d'une réplique exacte de ceux que l’on pouvait trouver dans le Maine à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle. Certains intérieurs y ont été filmés, mais la plupart ont été construits sur des plateaux et dans des entrepôts dans la banlieue de Halifax, la capitale de la Nouvelle-Écosse, l'intérieur du phare étant trop exigu pour y manœuvrer une caméra.
Le thème de la folie est le fil rouge du film et elle se matérialise à l’écran par des scènes hallucinatoires dignes d’un cauchemar ; on pense au Eraserhead de David Lynch (1977) dont l’esthétique du noir et blanc constitue un lien entre les 2 films. Certaines scènes évoquent le bestiaire fantastique (le personnage énigmatique de la sirène) mais de manière savamment dosée. The Lighthouse est un film d’atmosphère qui distille une véritable montée en tension en dévoilant les rouages d’une folie sous-jacente, bien loin des effets chocs d’un quelconque film d’horreur à destination d’un public en attente de sensations fortes. Encore une fois, Robert Eggers livre une mise en scène aboutie : la caméra reste au plus près du tandem de personnages, ce qui renforce le sentiment de confinement du début à la fin. Le montage des scènes hallucinées est d’une fluidité telle qu’elles apportent un séduisant contraste avec l’atmosphère pesante de l’intrigue. 

Le travail sonore du film nous plonge également au cœur de l’histoire, avec en outre le son d’une corne de brume qui renvoie à l’imaginaire du monde marin tout en distillant une certaine étrangeté. Les sons de la mer, du vent, de la tempête, les bruits mécaniques sont également mis en valeur au sein de l’univers sonore du film, donnant encore une fois l’impression pour le spectateur d’être présent dans le phare auprès des personnages.

The Lighthouse est un bon film d’épouvante rendant hommages au cinéma expressionniste allemand des années 1920. En mettant en scène deux hommes confinés dans un phare, le cinéaste brode une histoire de folie maîtrisée de bout en bout et particulièrement étouffante. Willem Dafoe et Robert Pattinson incarnent leurs personnages avec brio, leurs regards se voilant progressivement d’une sombre folie.

 

vivarium_1.jpg

Vivarium / Lorcan Finnegan (Epouvante, Thriller, Science-fiction, 2020)

Synopsis : À la recherche de leur première maison, un jeune couple effectue une visite en compagnie d'un mystérieux agent immobilier et se retrouve pris au piège dans un étrange lotissement.

Analyse : Le réalisateur irlandais Lorcan Finnegan signe ici son deuxième long-métrage après Without Name en 2016, un film indépendant qui s’inscrivait également dans la veine fantastique. Issu du graphisme et de l’animation, Finnegan a comme thème de prédilection le « cauchemar immobilier » qu’il avait déjà exploré dans son court-métrage Foxes en 2011. Il décrit Vivarium comme « un conte à la fois surréaliste et tordu, à la fois sombre, ironiquement drôle, triste et effrayant ». Le ton est donné ! Il s’agit surtout de traiter des thèmes de l’isolement, du consumérisme capitaliste et de la fragmentation de la société.
Le film nous fait penser à un épisode de la série culte La Quatrième Dimension en possédant toutefois l’âme d’un vrai film de cinéma et de fantastique à l’ancienne. Le réalisateur Lorcan Finnegan déclare avoir également puisé son inspiration dans le Lost Highway de David Lynch ainsi que dans les excellents et trop méconnus Phase IV (Saul Bass) et Le Dernier Survivant (Geoff Murphy).

Le lotissement présent au cœur de l’intrigue est un personnage à part entière dont son esthétisme a été conçu entre autres d’après les toiles du peintre surréaliste belge René Magritte (et surtout d’après sa toile L’Empire des lumières). L’esthétique voulue par le réalisateur se devait ainsi d’être surréaliste mais aussi artificielle, comme si le jeune couple évoluait dans un mauvais rêve. La thématique du conformisme est soulignée par l’aspect banal des différentes maisons du lotissement qui sont identiques et qui déstabilisent les personnages qui ne parviennent pas à retrouver le chemin de la sortie dès la première partie du film, distillant ainsi un sentiment de malaise pour le spectateur. Même la lumière du lotissement a été voulue la plus artificielle possible et par conséquent, l’équipe a tourné les scènes du lotissement aussi bien dans un studio en Belgique que dans un véritable lotissement à Dublin. Il n’y a aucun insecte, aucun animal ni aucun bruit du vent à l’extérieur du lotissement ce qui confère bien cette notion d’artificialité recherchée par le metteur en scène. La couleur vert pâle des façades des maisons symbolisent l’idée d’un poison se diffusant dans la banlieue pavillonnaire, elle tranche de ce fait avec la couleur verte naturelle de la nature ; de plus, cette teinte renforce l’aspect maladif des personnages dont celui de Tom qui sombre peu à peu dans une sorte de folie à mesure que l’intrigue avance, ne supportant plus d’être emprisonnée dans le lotissement maudit.
Vivarium joue ainsi sur l’idée que de l’artificialité naît de la toxicité, et par conséquent, le film se veut être une critique féroce du capitalisme et du consumérisme institutionnalisé.

L’intrigue développe aussi une facette quelque peu étrange sur le désir d’enfant : l’enfant du film, le « monstre » qui grandit à vitesse grand V, recueilli nourrisson dans une boîte en carton par le jeune couple dès leurs premiers jours emprisonnés dans le lotissement, s’avère inquiétant et symbolise le principal élément perturbateur du film. A priori non humain (sa croissance étrangement rapide), l’intrigue joue habilement sur sa personnalité (est-il réellement mauvais ou bien conserve-t-il au fond de lui un attachement pour sa famille adoptive ?). En outre, l’enfant est ici le principal moteur de l’action puisque c’est de sa survie que dépendra celle du couple. 

L’un des atouts du film réside en l’interprétation de ses deux acteurs principaux : Imogen Poots, jeune actrice de trentre ans révélée à l’âge de dix-sept ans dans le film de zombies 28 semaines plus tard s’empare du personnage de Gemma avec toute la justesse qu’un tel rôle demandait ; jeune femme heureuse dans son couple, par ailleurs professeur des écoles qui aspire à sa nouvelle vie de « ménagère » (elle souhaite tout comme son compagnon accéder à la propriété) ; Jesse Eisenberg livre également une très bonne performance d’acteur en incarnant Tom, qui contrairement à Gemma, perd peu à peu les pédales et s’enfonce progressivement dans l’isolement (il se met en tête de vouloir creuser un puits dans l’espoir de s’enfuir du lotissement).

Lorcan Finnegan s’est entouré d’une solide équipe technique. Citons entres autres le compositeur danois Kristian Eidnes Andersen qui a collaboré à de nombreuses reprises avec le réalisateur Lars Von Trier et qui signe ici une partition aussi glaçante qu’efficace, ainsi que le directeur de la photographie MacGregor, un espagnol qui a aussi écrit et réalisé des courts-métrages primés en Espagne et dont le style visuel est reconnu par ses pairs.

En mettant en scène ce conte cruel et au final peu ordinaire, Lorcan Finnegan signe un très bon film de genre dans la digne lignée de la série La Quatrième Dimension mais en sachant toutefois livrer une œuvre singulière avec une âme qui lui est propre et pourvu d’un discours politique incisif et percutant. Vivarium est aussi plaisant car il est un miroir déformant de nos vies quotidiennes et engage la réflexion sur ce que nous considérons comme banal et normal (l’accès à la propriété, la vie de couple, le désir d’enfant, etc). Finalement, qu’est-ce que cette normalité institutionnalisée par la société ?
Un film atypique très recommandable.